C la vie : puissance incarnée

©Sophie Deiss

Mercredi soir avait lieu la première du spectacle C la vie du chorégraphe burkinabè Serge Aimé Coulibaly dans le cadre du Festival TransAmériques. Spectacle de clôture du FTA, celui-ci annonce cependant l’ouverture du Théâtre de Verdure. À l’affiche pour seulement un deuxième soir, C la vie est une ode à l’existence, à l’énergie de la vie et à la force du groupe. Entraînant. Enivrant.

Rideau scintillant, masque coloré, mouvements brutaux. Le début de C la vie, bien que calme, marque déjà le ton avec des symboles forts et une gestuelle plus qu’assumée. Avec l’entrée en scène du musicien, batteur et tambourineur, la montée est puissance se fait sentir. Entourés de fumée, les huit interprètes, d’abord assez solitaires, créent de courtes interactions entre eux. Sensualité, confrontation, ces courts passages reflètent déjà tout bonnement la vie. Puis c’est le moment de danser en cercle, tradition présente dans de multiples cultures africaines et qui transcende encore aujourd’hui plusieurs milieux de la danse, partout dans le monde. En plus du lien avec l’art du mouvement, le cercle peut aussi représenter la Terre qui tourne, sans cesse, la vie qui avance, sans qu’on ne lui demande rien. Tous ensemble, les danseurs se lancent donc emportés, à l’unisson, dans de simples gestuelles, mais qui marquent les esprits. Le cercle tourne dans un sens, plus dans l’autre, puis s’agrandit. En parallèle, certains interprètent en sortent pour s’exprimer librement et montrer leur unicité.

Les formations de duos, de trios, sont quasi invisibles à l’œil et surprennent durant toute la pièce. Même chose pour les moments d’unisson qui sont savoureux tant ils sont subtils à se mettre en place. La force de C la vie réside en effet dans sa supposée désorganisation, sa possible imperfection chorégraphique. Car le but ici n’est pas de livrer une gestuelle copiée collée sur chaque interprète. Bien au contraire. La partition du corps est là et est respectée, mais est aussi propre à chacun selon son style et ses capacités. Ainsi, les bras levés ne sont pas tous à la même hauteur, les pas ancrés au sol pas à la même profondeur. Et c’est exactement ce qu’on aime. L’authenticité transpire, les interprètes vivent leur fougue intérieure et nous livrent tout ce qu’ils ont. Et la magie dans tout ça, c’est qu’une chorégraphie, extrêmement recherchée, apparaît et nous jette à terre par son originalité, par sa puissance. Tout est calculé, des croisements de regards jusqu’aux brèves interactions en arrière-scène. Les gestes sont forts, impressionnants par la rapidité d’exécution, notamment des pieds, et la hauteur des sauts, amalgame de nombreuses influences chorégraphiques très intéressantes. Inspiré des traditions Wara, Sénoufo et des carnavals d’Occident, on reconnait aussi des mouvements tirés du quotidien. Décortiqués, ils sont fascinants à reconnaître, à découvrir sous une nouvelle perspective.

©Vivien Gaumand

Mordre la vie Ă  pleines dents

Pour rajouter Ă  la force de la chorĂ©graphie, la chanteuse Niaka Sacko, qui danse aussi, et le musicien Yvan Talbot « Doogoo D » nous envoutent par leur art. LĂ  encore, c’est puissant. Difficile de ne pas se laisser emporter par toutes les gammes que l’on entend. De l’intensitĂ© Ă  la peine en passant par la folie. Et c’est cela que Serge AimĂ© Coulibaly a finalement voulu traduire sur scène : toutes les phases, plus ou moins ridicules, de l’existence. En plus de la trame sonore, il a aussi misĂ© sur des projections, qui restent sombres, mais dont on devine les contours de la guerre, de la dictature. Enfin, l’interprĂ©tation des danseurs est remarquable. Ils ne dansent pas, ils incarnent la rage de vivre. Ils se tiennent debout, et ensemble, pour vivre, survivre, revivre et vivre encore. Que ce soit dans les Ă©preuves, la perte, la routine ou l’espièglerie, ils sont tous bel et bien vivant et poussent jusqu’au bout les Ă©motions traversĂ©es. C la vie appuie les clichĂ©s, les grimaces d’une sociĂ©tĂ© oĂą on termine tous dans le mĂŞme Ă©tat. La dĂ©faite n’est cependant pas au rendez-vous. Bien au contraire. Ce sont des rĂ©sistants, des guerriers qui s’affairent Ă  exalter la puissance de leur ĂŞtre et de l’être ensemble.

Avec C la vie, Serge Aimé Coulibaly nous invite à questionner notre engagement dans nos propres vies. Est-on encore des résistants ? Pour quelle raison serions-nous prêts à nous battre ? Mais aussi comment célébrer chaque jour qui nous est donné sur cette Terre ? Avec C la vie, on réfléchit à l’avant et à l’après, mais on exalte surtout le présent. Coûte que coûte.

Serge Aimé Coulibaly et le Faso Danse Théâtre
C la vie
Jusqu’au 5 juin au Théâtre de Verdure

https://fta.ca/fr/programmation/c-la-vie

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