Millepertuis : explosion sensible
Jusqu’au 2 juin, l’impressionnant streetdancer Walid Hamadi, alias Waldo, se dévoile dans un tout premier solo, Millepertuis, chorégraphié par son complice Sovann Rochon-Prom Tep dans le cadre du Festival TransAmériques (FTA). Entre extravagance et vulnérabilité, cette proposition chorégraphique nous immisce dans l’intime de l’interprète tout en nous en mettant gestuellement plein les yeux.
Dos au public, dans le silence, Waldo prend place. Dans la lenteur, avec de subtils déplacements, il incarne déjà un personnage. Grâce à des petits détails tels un pied qui se glisse, ou des bras un peu trop collés au corps, on comprend rapidement que l’espièglerie va être au rendez-vous. Et c’est bien le cas. Dès qu’il se tourne vers l’audience, Waldo, ses yeux rieurs et son petit sourire transporte le public dans son jeu scénique. Il se déplace géométriquement dans l’espace, en décortiquant ses mouvements, tranquillement et en imposant quelques pauses, des immobilités parfaites.
La musique, très variée et intéressante dans la pièce, devient ensuite plus entraînante et provoque chez notre personnage une légère danse pédestre. La gestuelle, jusque là très simple et subtile, s’accentue progressivement et se teinte des influences du popping et du locking de l’interprète. La taquinerie est alors de plus en plus marquée, par les yeux malicieux toujours, les sourires complices et sincères, et surtout le plaisir que Waldo a à jouer avec son corps, avec les angles et les possibilités multiples de ces membres. On découvre peu à peu toute la créativité qu’on lui connaît sur les scènes de battle de streetdance. À travers ses mouvements, Waldo crée des illusions, remplit des espaces imaginaires et produit des images dans l’espace. Il est fascinant, presque magique.
La découverte gestuelle se poursuit devant nos yeux et l’intensité continue elle aussi jusqu’à ce que l’interprète rentre dans un popping solide, assuré et très impressionnant. Ce n’est pas pour rien qu’il sillonne le monde et se classe dans d’innombrables compétitions de streetdance.
Vulnérable abandon
L’expansion chorégraphique, merveilleusement jumelée avec l’ambiance sonore et lumineuse, influence non seulement la danse de Waldo mais aussi son état d’âme. On le voit ainsi peu à peu lâcher prise, perdre le contrôle et désarticuler son corps et ses pensées. Dans un moment suspendu, il libère alors tout le lâcher-prise qu’il a, dans des rondeurs et des quasi-chutes qu’on lui connait moins jusqu’à retrouver un calme et une lenteur dans les mouvements, focalisant alors sur les bras. Waldo livre ensuite un spectaculaire moment d’électro où ses gestes, extrêmement rapides et accentués par la lumière stroboscopique, sont hypnotiques. Collé au public, il s’abandonne totalement dans un moment d’ivresse, en toute humilité et vérité.
À bout de souffle, c’est de nouveau la paix qui revient ensuite pour un passage d’une touchante beauté où l’interprète, yeux fermés, se laisse voir autrement, dans toute sa vulnérabilité, son intimité. C’est simple, c’est doux et ça fait du bien à vivre.
Finalement, le sourire coquin du début reviendra subtilement tout comme la musique dansante qui, spontanément, refait bouger notre personnage. Mais est-ce vraiment un personnage…
Avec cette pièce, le chorégraphe Sovann Rochon-Prom nous montre encore une fois son grand talent à dévoiler des facettes inusitées de ses compères streetdancers. Ainsi, Millepertuis permet à Waldo d’affirmer encore davantage toute sa versatilité chorégraphique et de nous en mettre plein la vue tout en abordant une sensibilité et une intimité touchantes à voir.
Sovann Rochon-Prom Tep
Millepertuis
Jusqu’au 2 juin à l’Agora de la danse