PIÑA : soirée tissée serrée
Jeudi soir a eu lieu la première du spectacle PIÑA de la compagnie de Vancouver FakeKnot, à Tangente. Co-présentée par le Festival Accès Asie dans le cadre de la Semaine d’actions contre le racisme au Québec, cette pièce puise son inspiration dans le tissu philippin constitué de feuilles d’ananas, nommé piña. En plus de la représentation scénique, le public est invité à découvrir une exposition et à vivre une « mini fiesta » avant d’entrer dans la salle. Toute qu’une expérience !
DJ, karaoké, danses et bouchées philippines. Une heure avant le début du spectacle, le public est invité à se rassembler et passer un moment ensemble. En plus de découvrir des mets très gouteux et peut-être inhabituels pour certaines personnes, ce court moment permet de se sentir ensemble. Le chorégraphe, et les interprètes, partagent ce moment avec tout le monde, aussi bien les spectateur.rice.s que le personnel de Tangente. On dirait une fête de famille alors que peu de gens se connaissent finalement.
Par la suite, place au spectacle ! Là encore, l’ambiance est à la détente. En pleine lumière, devant nos yeux, les techniciens aident les interprètes à enfiler leur costume, un grand voile de piña qui dépasse largement leur tête. En effet, une armature arrondie en bois est déposée sur leurs épaules. Cela crée alors un effet de grands personnages, de géants qui se déplacent, d’un voile qui serait vivant. Pendant l’installation, le chorégraphe, qui danse dans sa pièce, se promène pour dire bonjour à son monde, s’assoit, attend, comme nous, le début du spectacle. Décontracté, il enlève ses chaussures puis se met en scène. La proximité entre tout le monde est palpable et fait du bien à vivre.
Et la musique démarre. Folklorique, elle nous amène auprès de la culture philippine, avec devant nous des interprètes géants, à la fois cachés par leur costume, mais visibles quand même. En effet, ce tissu traditionnel n’est pas tout à fait opaque, il laisse traverser la lumière et permet alors de déceler les sourires des interprètes et de les identifier chacun.e clairement. Ils partagent cependant cette grande toile ainsi qu’une chorégraphique bien délimitée, elle aussi traditionnelle. Ainsi, les quatre interprètes se croisent, se joignent au milieu d’un cercle, font une ronde. Sur cette musique entraînante, la danse est assez simple et c’est tout à fait normal. Ce n’est pas la complexité ou la virtuosité que le chorégraphe cherche à nous montrer ici, mais bien les traditions de son pays d’origine et le fait que l’histoire et l’héritage d’une culture se transmettent aussi à travers les corps. Ici, c’est le corps lui-même qui devient territoire, et c’est touchant à voir.
Ingéniosité lumineuse
La deuxième partie du spectacle est davantage abstraite et se découpe en plusieurs saynètes dont les jeux de lumière en font le fil conducteur. Dans un premier temps, la piña sert de robe, mais aussi de couverture au chorégraphe, qui à travers un lip-sync et un rond de lumière très comédie musicale, nous livre une performance simple, mais très touchante. Le noir quasi total envahit ensuite la scène et la musique s’étend au détriment d’un fond sonore doux, proche du silence, teinté de bruits sourds. Ici, les interprètes naviguent dans l’espace sans être vu.e.s. Ou presque. Encore là, c’est un rond de lumière, nettement plus petit, qui va les chercher, les poursuivre, toute en lenteur, pour faire ressortir quelques bouts de corps, quelques gestuelles souples, ras du sol. Toujours dans ce tendre silence, la lumière devient scanner et par des fines lignes acérées traverse l’espace de droite à gauche en continu pour traverser les corps. Au rythme de sa cadence, les artistes se meuvent, toujours en simplicité, naturellement dansée.
Le rythme s’accélère ensuite laissant place à des sonorités plus technos et un couloir de lumière, habilement placé, qui dévoile davantage le milieu des corps. Ici, la chorégraphie s’accélère laissant place à de belles propositions gestuelles ainsi que des déplacements originaux dans l’espace. On décèle des influences à la Martha Graham dans l’angle des corps, mais aussi dans la disposition scénique. Le relâchement est aussi présent sans être le point principal.
Le beau tissu piña fait ensuite son retour dans un moment suspendu où les jeux de lumières et de couleurs semblent magiques. La piña semble respirer grâce aux ondulations crées par les interprètes qui le tiennent en hauteur. Elle devient alors un océan de couleurs et l’interprète, alors en solo, ajoute nuances, formes et beauté à ce passage.
La lumière UV fait ensuite son arrivée. Devenu.e.s des êtres blancs flash, les interprètes bougent avec une précision très pointue. La chorégraphie devient alors minimaliste, mais très intéressante. Le simple fait de tourner sa main dans un sens ou dans l’autre crée quelque chose de captivant grâce au choix des costumes et de la lumière. La piña fait ensuite un ultime retour pour conclure cette douce pièce. Elle devient alors à son tour territoire, et ne fait plus qu’un avec le corps des interprètes. Là encore, tout en douceur et symbolisme.
Avec PIÑA, la compagnie FakeKnot nous plonge dans la culture philippine pas à pas en alliant tradition et créativité. Sensible, cette œuvre effleure de nombreux sujets, tels que la place du costume dans la société, la visibilité ou l’invisibilité de certains peuples, le genre, tout en restant dans un choisissant de mettre l’esthétisme, l’imaginaire et la création de l’avant. Grâce à une belle et simple gestuelle et une lumière extrêmement élaborée, PIÑA est un belle hommage à la culture philippine, nous fait du bien et interroge sans bousculer.
FakeKnot
PIÑA
Jusqu’au 29 mars à Tangente
https://tangentedanse.ca/evenement/fakeknot/