Dirt : Brutale humanité
Mercredi soir a eu lieu la première de Dirt, nouvelle création de la compagnie Tentacle Tribe. Chorégraphié par Elon Höglund, Dirt s’interroge sur la relation du pouvoir que l’homme exerce sur la planète. À travers une approche contemporaine teintée de gestuelles issues des streetdances, cette pièce met en lumière nos liens à la Terre dans une chorégraphie organique et brut.
Voix rocailleuse, pénombre. La nouvelle création de Tentacle Tribe nous plonge dès le début dans une ambiance assez sombre. Après un flash, des corps, à quatre pattes, ondulent, respirent ensemble avec une gestuelle presque animale. L’ambiance est obscure, mais paisible au départ. La fluidité des corps rassure. Peu à peu, on découvre les cinq interprètes qui, l’un après l’autre, prennent « le spotlight ». D’un groupe uni et fluide, on découvre alors le poids de l’individualité qui est parfois totalement assumée, grotesque, parfois forcée. La fumée prend ensuite davantage de place, la pénombre scénique étant toujours dominante. Comme à son habitude, la compagnie nous plonge dans une danse coulante où les corps s’emboitent à la perfection. Ainsi, les combinaisons de chaque articulation, des corps des uns et des autres, sont fascinantes à voir. Tel un puzzle, un duo d’interprètes joue au sol avec l’ondulation de leur torse, les angles de leurs bras. C’est doux, ondulé et extrêmement travaillé. Les êtres ne font qu’un ensemble, mais aussi avec le sol, sur qui ils s’étendent, s’appuient pour se déplacer, toujours en subtilité et maîtrise. Tout ce temps, la musique accentue cette ambiance sobre, mais toujours un peu au bord de l’inquiétude. Hypnotisante, elle nous transporte dans leur univers qui reste abstrait jusqu’à l’apparition d’un nouvel interprète…
Assumer les contrastes
En effet, Dirt se permet une narration plus concrète avec l’arrivée d’une marionnette, un bébé puis un petit enfant. Une tendresse vient alors s’ajouter au portrait et toucher chaque membre du groupe qui tour à tour tente de l’attraper. Cependant, la vie, ou les autres leur arrachent des mains. L’instinct maternel, paternel et finalement animal, ici transparait. Mais la délicatesse innée laisse souvent place à l’indifférence, à l’abandon même. Là encore, le lien naturel et organique à la Terre, aux autres, s’oppose à la violence que peut être l’humanité. Et pour incarner cette dualité, musique et lumière s’accordent à merveille avec la gestuelle qui divague entre la fluidité et les mouvements saccadés, les à -coups. Malgré une violence, ou une peur, toujours sous-jacente, de beaux moments d’union ponctuent aussi l’œuvre avec des portés gracieux en groupe, des unissons, des balancements naturels, un sol rassurant et des interprètes qui s’entraident toujours dans cette évolution périlleuse.
En plus s’assurer davantage de personnages, de narration, cette pièce joue aussi beaucoup sur les contrastes avec l’arrivée surprenante de musique plus marquée, et d’imposantes cagoules orange fluo. Sans transition, les flashs s’accélèrent, les isolations du corps et l’influence du hip-hop s’affirment davantage. Le groupe domine, mais là encore, on décèle rapidement les travers de l’homme avec l’envie d’écraser l’autre ou de le manipuler. Les jeux de lumière découpent l’espace de manière intéressante et évoluent avec les états de corps.
Après avoir été témoin des éléments de vie traversés par les protagonistes, la marionnette rentre peu à peu dans la danse et en fait partie intégralement vers la fin du spectacle. Parallèlement à cela s’ajoute un nouvel élément, la télévision qui rassemble tout en abrutissant, et en faisant perdre l’essentiel, la Terre et la vie, de vue.
Ainsi, à part quelques détails de costumes qui n’ajoutent rien au narratif ou à l’esthétique de la pièce, Dirt est une pièce très intéressante qui exprime, avec subtilité, les contradictions de l’homme dans sa société, face à la nature et les instincts. Avec la marionnette, Tentacle Tribe sort de ses habitudes et crée une œuvre un peu plus théâtrale qui fonctionne grâce au travail précis des mouvements. Enfin, lumières et musiques soutiennent et accentuent propos et dynamiques scéniques et la qualité incroyable des interprètes nous offre une corporalité très travaillée et savoureuse.
Tentacle Tribe
Dirt
Jusqu’au 12 avril à l’Agora de la danse
https://agoradanse.com/evenement/dirt/