Festival Phénomena : le corps pour incarner la culture sourde
©Stéphane Crête
Jusqu’au 24 octobre, le Festival Phénomena se déploie dans divers lieux à travers Montréal. Parmi sa programmation riche et éclectique, on retrouve quelques propositions qui flirtent avec la danse ou l’embrassent complètement. Pour Véro Leduc, artiste performeuse, enseignante et chercheuse, il est question de mouvements, mais aussi, et surtout de mettre en lumière la communauté sourde.
Tout d’abord, les 6 et 7 octobre, l’Agora de la danse accueillera la soirée des performances sourdes, initiée par Véro Leduc, artiste performeuse, enseignante et chercheuse. « J’avais déjà organisé un cabaret avec plusieurs artistes sourd.e.s pour Phénomena en 2019 et vu que ça a été une belle collaboration, D.Kimm m’a demandé d’en refaire un cette année, pour sa dernière édition en tant que directrice du festival », exprime-t-elle à travers la voix de son interprète Sara Houle, interprète en langue des signes québécoise (LSQ).
Ainsi, pour cette nouvelle édition, Véro Leduc a demandé à quatre artistes de présenter leur travail sur scène. Dominique Ireland présentera Ka?tshast^sla qui explore la danse oneida et son rapport à ses ancêtres autochtones. Hodan Youssouf, quant à elle, mêlera danse, monologue et musique signée dans une œuvre abordant son parcours en tant que femme sourde noire réfugiée et évoquant ses origines somaliennes. Cai Glover dévoilera Désordre où il explore, à travers la danse contemporaine, la dualité et les rôles dans lesquels les personnes sourdes ont été assignées. Enfin, Véro Leduc présentera elle aussi une performance : Déconstruire au piano — Se délier de la dissonance où il est question de la relation avec l’instrument, entre résonances, musique et silence. « Deux choses étaient importantes pour moi : la diversité des pratiques, mais aussi la diversité des appartenances. C’était important pour moi de montrer que l’expérience sourde n’est pas uniforme, qu’il y a une grande diversité de parcours, et de styles de communications aussi. Certains utilisent la langue orale, d’autres la langue des signes, certains communiquent parfois en signes, parfois par la parole. Cela amène une richesse de perspectives sur le monde », élabore-elle.
Conscientiser, éduquer
Bien que la langue des signes utilise le corps, Véro Leduc insiste sur le fait que cela n’en fait pas une danse. « J’utilise mon corps oui, mais il ne faut pas oublier que c’est une vraie langue. Les entendants vont voir la langue des signes comme quelque chose de beau, mais c’est un peu réducteur. C’est comme si une personne anglophone aime le son de l’accent québécois, sans s’y intéresser davantage. Il faut plus d’éducation à la culture sourde », affirme celle qui milite pour la communauté sourde depuis des années.
« J’ai toujours adoré la danse, c’est un style d’art qui me permet de me sentir appartenir », exprime Véro Leduc. Passionnée par les arts en général, elle a souvent côtoyé la danse, mais aussi le théâtre. « Le théâtre, pour moi, est accessible, car je peux demander le texte à l’avance, le mettre sur une tablette et faire défiler les paroles pendant le spectacle, mais ce n’est pas encore idéal. Des fois, on a envie de décrocher des écrans et ça demande une mécanique qui n’est pas optimale, raconte-t-elle. La danse, je pouvais connecter directement, sans médiation technique, juste mes yeux en contact avec le spectacle. Mais avec le temps, on a développé des technologies, l’art numérique, les projections vidéo, les voix off avec la danse. C’est un peu décevant, on a perdu l’accessibilité. Je me sentais alors exclue, ce que je vivais déjà dans ma vie de tous les jours alors j’avais moins le gout de voir de la danse malheureusement ».
Un des combats de Véro Leduc, c’est de conscientiser davantage la population aux enjeux vécus par les personnes de la diversité capacitaire. « Une personne sur 4 est en situation de handicap au Canada donc ce serait bien que les gens se questionnent lorsqu’ils font des œuvres : si j’ajoute une voix, est-elle accessible pour les sourds ? S’il n’y a aucune musique, comment le spectacle peut-il être perçu par une personne non voyante ? Ce n’est pas possible d’être parfait à 100%, mais c’est important de réfléchir, de donner plusieurs portes d’entrée à une œuvre », poursuit-elle.
Avec la soirée de performances sourdes, Véro Leduc espère donner un accès à la culture sourde pour le public. « Souvent, on conçoit l’inclusion dans un sens seulement. Oui, c’est important que les personnes sourdes aient accès à la culture entendante, mais l’inverse aussi ! Ce n’est pas vraiment équitable si ça va dans un seul sens, conclut-elle. Avec ce spectacle, j’espère que les gens plongent dans une autre culture, et par la rencontre, se demandent comment changer le monde ».
Soirée de performances sourdes
Les 6 et 7 octobre
À L’Agora de la danse