Festival Phénomena : se livrer à la circularité du temps
©Denis Martin
Jusqu’au 24 octobre, le Festival Phénomena se déploie dans divers lieux à travers Montréal. Parmi sa programmation riche et éclectique, on retrouve quelques propositions qui flirtent avec la danse ou l’embrassent complètement. Pour Athéna «Empress» Lucie Assamba, c’est l’occasion de proposer un voyage entre le club montréalais et le village camerounais.
« Quand j’arrive dans un club, ou une fête, un événement, la musique me fait vivre des expériences auxquelles je n’ai pas accès dans ma vie de tous les jours. Le noir, les petites lumières, les corps qui dansent, la musique qui te transport, le fait que les gens se connaissent, et ne se connaissent, permet de voyager dans d’autres sphères de l’univers », partage Athéna «Empress» Lucie Assamba. C’est à force de côtoyer ces espaces festifs qu’elle a voulu créer une pièce à ce propos, Nkul Nnam. De plus, elle a rapidement fait un lien avec son village d’origine, au Cameroun. « Les clubs ressemblent beaucoup au cercle de danse qu’on avait chez nous. Un esprit peut entrer dans le cercle et un autre monde existe à ce moment-là. Ça permet un état de transe, un état liminal. L’Afrique n’a jamais cessé de danser, de créer ces cercles où sont nait beaucoup de danses de libertés, de résistances. Pour moi, le club est la version urbaine du cercle de danse », ajoute celle qui se consacre à la danse depuis maintenant 3 ans.
Avant cela, Athéna a fait des études en neurosciences, mais la danse a toujours fait partie de sa vie. « Je danse depuis avant ma naissance, car c’est une partie intégrante de ma culture. Très tôt, j’ai appris les danses patrimoniales du Cameroun qui se dansent dans les événements familiaux, comme le bend skin ou le bikutsi. Après je me suis intéressée aux danses de rues africaines, comme le coupé décalé ou le mbolé. », explique Athéna. Arrivée en 2015 à Montréal, elle s’est par la suite intéressée au dance hall ou encore au waacking.
Ainsi, dans Nkul Nnam, Athéna s’est laissée inspirer par ces différents styles, mais focalise surtout sur le bikutsi. « C’est une façon de rendre hommage à cette danse traditionnelle camerounaise, qui est aussi le nom d’un rythme. C’est une danse inventée par des femmes qui utilisaient la frappe de leurs pieds pour s’exprimer quand elles n’avaient alors pas le droit à la parole dans les terres des peuples Béti », raconte la danseuse qui a suivi le stage à l’École des Sables, au Sénégal et qui suit des cours dans la compagnie Nyata Nyata. Son but avec cette création était alors d’amener le bikutsi dans un contexte contemporain, entre chorégraphie et improvisation.
Sur scène, on retrouve aussi une DJ qui est, pour Athéna, un « personnage à part entière ». « Je ne considère pas cette pièce comme un solo. Je suis la seule à danser, mais la musique, la DJ sont aussi avec moi. En plus, je partage avec le public donc tout le monde participe au final. Dans le futur, j’aimerais aussi ajouter un musicien, se dit-elle. Côté danse, j’avais besoin de commencer l’exploration toute seule, mais dans quelques années, je peux imaginer que plusieurs personnes incarnent cette œuvre ».
Avant d’entrer en scène, Athéna a demandé à son amie Aïchatou Erna Labarang de faire une première partie. « On a beaucoup dialogué humainement et artistiquement ensemble ces dernières années et on a entamé un projet ensemble qui s’appelle Essence. Ici, on présente chacune notre version de notre Essence en quelque sorte », dit-elle. Pour Athéna, l’œuvre de Aicha, qui se nomme Sens inverse, fonctionnait très bien avec sa propre œuvre. « Elle permet une première ouverture sur le fait de contrer le temps dans lequel on vit, le temps dans lequel on pense qu’on doit vivre, qu’on doit faire. Sa pièce crée un infini alors ça installe bien le propos », dit la chorégraphe.
©Steffie Boucher
Donner l’espace à l’« Africanfuturism »
En plus d’explorer les liens entre le village camerounais et le club, Athéna vise aussi à mettre l’Africanfuturism au cœur de son œuvre. « Ma définition change tous les jours, mais quand j’y pense, ce qui me vient à l’esprit, c’est « Saga du temps ». C’est le fait d’explorer ou d’expérimenter le temps de façon circulaire et non linaire. Le passé, le présent et le futur cohabitent dans un même état et il faut naviguer à travers, tous les jours », décrit-elle.
Le lien a l’ancestral est pour elle aussi primordial dans ses recherches. « On a tendance à mettre la tradition, le passé sur le côté, comme s’ils n’évoluaient plus, mais en Afrique, on continue à le vivre donc la tradition d’aujourd’hui n’est pas la même qu’il y a 15 ans. Les expériences du passé sont des informations utiles pour nous qui sommes encore ici et ceux qui vont venir après », complète-t-elle. Enfin, la notion de technologie vient ajouter une couche de détails dans les études qu’Athéna a entreprises sur la danse et plusieurs de ses aspects. « Nos ancêtres avaient déjà le lien à la nature, à l’écologie, dont on parle beaucoup aujourd’hui. La nature informe la science et toutes les expériences du passé sont de la science. Elles ont permis d’avoir une technologie ancestrale. Comment proposer un futur avec les technologies ancestrales ? C’est ce que je cherche dans la danse, et différentes sphères de ma vie ».
Avec Nkul Nnam, Athéna espère ouvrir une porte pour le public vers ces différents questionnements et recherches récentes. « J’aimerais susciter chez les spectateur.rices un déclic pour la libération, et pour la communauté. J’aimerais aussi qu’on fasse communauté à ce moment-là, que les gens voyagent, touchent à la circularité du temps », conclut-elle.
Encore plus de danse ?
©Rémi Hermoso et Lolo Vincent
Le Festival Phenomena proposera en programme double les jeunes collectifs NU.E.S et Boucane pour une soirée de performance « radicale et anti patriarcale, un appel à la démocratisation des érotismes, dans une perspective inclusive, féministe et queer ». Quelque part entre la France et le Québec, au carrefour du présent et de l’avenir, le collectif NU.E.S — formé de cinq artistes performeur·euses — s’engage dans une démarche authentique, à la fois viscérale et politique, pour explorer leurs érotismes. Leur seule limite : le consentement. À travers cette œuvre collective, où le grotesque côtoie l’émotion brute et le rituel festif, le collectif Boucane interroge et bouscule l’ordre établi, rêvant à la création d’un monde renouvelé. Boucane est une révolte qui conduit à une forme de grâce, d’une célébration des corps et des esprits.
Le 21 octobre à la Sala Rossa
https://electriques.ca/filles/fr/evenement/47485-festival-phenomena-2025-collectif-nu-e-s-collectif-boucane
©Josée Lecompte
Enfin, les deux artistes en danse Raphaëlle Renucci et Mathieu Hérard seront de retour avec leur AstroQueer mais cette fois-ci en format Gala. Multiples propositions, dont un numéro de danse de Jules Talavera, animeront la soirée, avec glamour et humour. Le tapis rouge sera aussi de la partie : sortez vos paillettes !
Le 23 octobre, à La Sala Rossa
https://electriques.ca/filles/fr/evenement/47487-festival-phenomena-2025-gala-de-l-astroqueer