Tout s’effondre : Naviguer entre le littéral et l’abstrait

©Do Phan Hoi

Du 7 au 10 mai prochain, Helen Simard présente sa toute nouvelle pièce, Tout s’effondre, à l’Agora de la danse. Pour cette grande forme, avec neuf danseur.euse.s et un musicien, la chorégraphe s’est laissée inspirer par la chute, tant au sens propre qu’au figuré.

C’est après s’être cassé le nez et avoir subi une commotion cérébrale, due à une chute sur la glace en 2018, qu’Helen Simard a commencé à se pencher sur la chute. « Après cet accident, je suis devenue un peu obsédée par la chute, qui est d’ailleurs une des plus importantes causes de la mort dans le monde alors qu’on n’y pense même pas comme étant un danger », s’étonne-t-elle encore aujourd’hui. Ainsi, durant les mois suivants qui ont suivi sa convalescence, la chorégraphe s’est intéressée aux différentes techniques de chutes, en arts martiaux, en cirque, en danse, mais aussi qui est apprise aux ainés. Son but était alors d’approfondir les différentes versions esthétiques de la chute et de comprendre la signification de « bien tomber ».

Après avoir présenté une ébauche de travail avec les étudiant.e.s de l’EDMTL en 2019, Helen s’est ensuite dirigée vers la notion plus abstraite de la chute, notamment suite à la pandémie de COVID-19. « On vit tous des traumas, des chutes, littérales ou non, à la fois individuelles, mais aussi collectives. Une chute sociétale, l’effondrement de soi, d’enjeux personnels, la perte de carrière, de repère, de communauté, etc. Au fil des pensées, c’est devenu une réflexion sur le possible effondrement inévitable de notre société occidentale qu’on est en train de vivre, réfléchit-elle. On a des responsabilités individuelles et collectives envers le maintien de notre réalité. Comment faire des choix ? On a des impacts sur notre société à travers notre action, mais aussi notre inaction ».  

« J’étais rendue là dans ma carrière, au moment de faire une pièce de groupe », pense Helen. En effet, après plusieurs pièces avec quelques interprètes seulement, elle a décidé pour Tout s’effondre, de se lancer dans la grande forme. Ainsi, sur scène, on retrouve neuf interprètes et un musicien. « C’était un chiffre important pour moi. Ça me permet de former trois trios, mais aussi d’évoquer des trinités, comme le passé, le présent et le futur. Le trois revient souvent, dans la nature, la théologie, l’être humain », dit-elle.

Avec ce chiffre, Helen a aussi pu travailler la spirale, une notion qui l’intéresse particulièrement dans cette œuvre. « Être nombreux permet de créer des forces centripètes et centrifuges qui agissent sur les corps, explique-t-elle. Ça sert aussi à pouvoir regarder l’impact du groupe sur l’individu et inversement puis explorer la notion de seul ensemble. C’était évident qu’il fallait une grande forme pour toutes ces raisons ». La notion de spirale sera aussi présente dans la scénographie. « Roger est allé la chercher dans la musique qui est vraiment orchestrale, épique. Et dans les éclairages aussi, on crée des espaces architecturaux où on perd un peu nos repères. On a essayé de défaire la géométrie trop carrée de l’espace scénique », affirme Helen.  

©Do Phan Hoi

Vivre à l’intérieur

Bien tomber de son vélo, se sortir de la glace, Icare qui tombe du ciel, les cascades de Jackie Chan, la chute du mur de Berlin, les feuilles des arbres qui tombent, etc. Pour élaborer la gestuelle de Tout s’effondre, Helen et les interprètes ont visionné de nombreuses vidéos. « Avant de penser à la composition de l’œuvre, on a généré une énorme banque de gestuelles, de mouvements à partir d’images, mais aussi de mots, on s’est par exemple inspiré du poème La seconde venue de William Butler Yeats qui parle de la grippe espagnole, de la société qui a perdu son pouls, ses morales et se demande si c’est la fin du monde. Les mots sont venus informer la gestuelle et l’écriture de la pièce », raconte l’artiste.

L’élaboration de cet ensemble de gestuelles a permis à la chorégraphe de définir un vocabulaire à utiliser par les interprètes. « L’idée était de trouver quel langage corporel on partage dans cette pièce. Une fois inventé, il fallait essayer de parler avec, et de voir ce que chacun avait envie de dire, élabore-t-elle. On se donnait des partitions de gestuelles partagées qu’il fallait ensuite improviser. Ça permet de voir les capacités différentes de chaque danseur.euse selon son background, break, contemporain, arts martiaux, cirque, etc. Avec ce vocabulaire, comment toi tu t’effondres comparé à un autre ? ».

« Dans mon travail, le mouvement en soi n’est pas le but chorégraphique. La gestuelle devient un prétexte pour que les interprètes se mettent dans un état particulier, incarnent des états de corps », exprime Helen. Ainsi, bien que l’improvisation soit à la base de la recherche chorégraphique, elle est beaucoup moins présente dans l’œuvre finale. « C’est très très très écrit pour que les danseur.euse.s puissent vivre leur vie à l’intérieur de cette écriture qu’ils connaissent si bien, détaille-t-elle. La partition est tellement travaillée, tellement en eux que oui, ils improvisent, mais dans un contexte très particulier. Ils connaissent les règles du jeu, mais doivent négocier et faire des choix en temps réel, chaque soir de manière différente. Et c’est là toute la beauté du spectacle vivant ».  

Malgré que l’univers de Tout s’effondre soit très sombre, Helen Simard espère aussi laisser de la place à de l’espoir. « J’espère que le public va reconnaitre sa propre histoire, sa propre chute, qu’elle soit macro ou micro et peut-être comprendre qu’il faut parfois tomber pour se relever. J’aimerais que les gens se demandent comment être capable de se ramasser dans cette période si difficile qu’on vit, conclut-elle. Je pense que quelqu’un pourrait apprécier l’œuvre simplement sur le plan esthétique et quelqu’un d’autre se laisser totalement emporter, hypnotiser par la spirale, se laisser s’effondrer avec nous ».

Helen Simard / We All Fall Down
Tout s’effondre
Du 7 au 10 mai à l’Agora de la danse

Interprètes : Rodrigo Alvarenga-Bonilla, Bailey Eng, Sage Fabre-Dimsdale, Alyssa Favero, Stephanie Fromentin, Justin Gionet, Mecdy Jean-Pierre, Maude Laurin-Beaulieu, Marie Lévêque, Roger White

Musique : Roger White

https://agoradanse.com/evenement/tout-seffondre/

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